La femme, l’héritier, l’allophone et le mythe de Sisyphe

le mythe de Sisyphe

Philippe G. – Expert en communication du dirigeant

Durant trois décennies d’accompagnement de dirigeant.e.s à la prise de parole en public, je me suis battu pour tenter de dissoudre d’insidieux blocages – et en particulier trois concrétions entravant profondément la maîtrise de l’éloquence. A chaque fois que l’une d’elles se présente, il est défi prioritaire de la combattre.

Oratrice

Elle signe tous les facteurs bloquants de qui, manager ou dirigeant, porte l’entreprise sur son dos : trac, submersion émotionnelle, dérapages vocaux, impréparation… Rien de grave qui ne puisse se maîtriser en quelques heures de coaching. Oui mais si pour lui, cela se résout bien vite ; pour elle, peines et pannes se prolongent.

Exprimer ce que l’on sait, donner la primauté à ce que l’on pense, c’est dire. Dire, c’est oser se mettre devant. Se mettre devant, c’est s’extirper du lot ; s’extirper du lot, c’est s’exposer, se laisser regarder. « Pour moi, un auditoire, c’est comme un gros oeil noir qui me scrute et s’apprête à me dévorer… » confie cette DirComm du CAC40, pourtant aguerrie.

Concupiscents, comparatistes, moqueurs, dans le jugement… A tort ou à raison l’oratrice imagine préchargés de (mal-)intentions les regards évaluateurs qu’elle essuie. Quant aux idées et aux mots avancés – pour être entendus, écoutés puis crus – il lui faut mettre en œuvre une force de conviction deux fois plus lourde que ne devrait le faire un conférencier de l’autre genre. Encore aujourd’hui en dépit de tous les efforts, aveugle et sourd à tous les mérites, un parfum d’imposture plane souvent dans la salle, colle « nativement » aux basques de celle qui – sachant – ne souhaite pourtant que partager. En 2025, perdure un héritage à toxicité séculaire.

Héritier

De la mère fondatrice retirée des affaires ou du père p-dg trop tôt disparu, il ou elle a tout reçu : les traits, l’esprit, la superbe et… en « cadeau », l’entreprise et la charge de la diriger. Jusque-là le défi de la relève pourrait aller de soi, prédestiné, presqu’armorial. Arrivent ensuite l’exposition publique, les prises de parole externes et pire, internes.

« Une situation récurrente me fait perdre mes moyens – raconte le fils repreneur d’un petit cabinet d’architecture – ce sont les réunions internes auxquelles participent les collaborateurs embauchés de longue date. Malgré leur bienveillance, je ne parviens pas à m’empêcher de lire dans leurs regards un jugement, une comparaison et peut-être le reproche de n’être pas… mon père, le fondateur » !

 Il s’agit alors de porter haut, et sur son seul prénom, la reconnaissance du fondateur, de revendiquer un droit d’inventaire, une normalité générationnelle, une destinée, un futur. Et c’est toujours en ces occasions que se craquelle la belle assurance de l’héritière ou de l’héritier.

Qu’elles que soient la taille, la richesse et l’activité de l’entreprise, le (ou la) légataire se fait rattraper par un sentiment ravageur d’illégitimité et un impératif déjà intenable : prouver qu’on est à la hauteur ! Ainsi, héritières ou héritiers en ont lourd à porter, à se briser la voix.

Etranger

Même s’il s’exprime dans un français châtié, l’allophone fait parfois face à des difficultés oratoires inattendues. Syntaxe et vocabulaire, jusqu’alors maîtrisés, s’abîment face à un auditoire. Pire, lors de débats publics où il s’agit de jouer de répartie et d’agilité, les moyens en viennent à lui manquer. Plus de sons, plus d’image !

Au gré des accompagnements, j’ai pu déceler des freins spécifiques expliquant ces blocages : passons sur l’exercice de prise de parole proprement dit ; oublions un instant l’expression dans une langue non-maternelle : reste le bagage éducatif et culturel. « A chaque revue de projet avec mes donneurs d’ordres, je perds 70% de mes capacités d’expression et finis de guerre lasse par donner quitus à toutes leurs remarques » déplore cette jeune directrice asiatique. 

Il est des enfants qui n’ont pas le droit de parler en présence d’adultes ; il en est d’autres interdits de porter la contradiction à un aîné, un homme/père ou à une femme/mère, ou à un sachant.

Plus tard, devenus adultes et lors de situation à enjeux, les diktats de cette jeune éducation resurgiront des profondeurs de l’enfance en un ordre impérieux : tais-toi !

Construire sur du sable

P-dg, décideurs, managers, grands ou petits chefs… Les forces inhérentes aux fonctions comme aux statuts pourraient laisser croire à une infaillibilité à toutes épreuves, en toutes circonstances. Pour beaucoup la prise de parole publique c’est – bardé d’une armure d’airain – s’aller grimper la dune du Pyla. Hélas, comme une physique du tas de sable, plus on s’élève, plus on risque se faire emporter par l’avalanche que l’on déclenche. On a vu, ci-avant, la nature de ces grains à enrayer les plus belles machines. Ne pas « travailler » à les réduire condamne au mythe de Sisyphe : le grain devient rocher!

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